- Le débitage d’outils laminaires / macro-lames / ‘’mode 4’’. La vieille technique Levallois – peut-être apparue en Afrique de l’Est v. 650.000 AEC (MIS 16) [cf. atlas n°2] – consistait à préparer un nucleus de pierre à partir duquel on débitait des éclats relativement épais qui allaient constituer les outils désirés ; cela après avoir ou non retouché les éclats. Cette méthode de production d’outils en deux (ou trois) temps fut globalement synonyme du Moustérien dans une grande partie de l’Eurasie, et de technologies de ‘’mode 3’’ voisines du Moustérien ailleurs dans le Monde. Le ‘’mode 4’’ technologique99 en dériva directement : des cognitions plus performantes et une maitrise praxique supérieure permirent à l’artisan moderne d’exercer des pressions de force et de direction très précises en des endroits du bloc soigneusement prédéterminés ; de cette action résulta le débitage de grandes lames minces détachées de nuclei de forme le plus souvent prismatique, forme qui est assez caractéristique des industries paléolithiques supérieures d’Afrique et d’Eurasie occidentale ; lesquelles lames étaient ensuite retouchées en fonction de l’usage désiré. Mais, en première étape, ces manœuvres nécessitaient une réflexion élaborée sur la nature des matériaux et la façon dont ils réagissent ; c’est ce qui explique pourquoi nous retrouvons parfois des blocs de pierre dont la géologie nous enseigne qu’ils ont été ramassés à plusieurs dizaines de kilomètres du lieu de leur débitage. En outre, ce n’est certainement pas un hasard si, sur les sites archéologiques, la production de grandes lames est souvent associée aux témoignages d’une pensée abstraite, tels que l’art ou les sépultures. En Eurasie, ce ‘’mode 4’’ apparut v. 50.000 AEC (milieu du MIS 3) et fut la technologie caractéristique de la partie ancienne du Paléolithique supérieur (Paléolithique Supérieur Initial, PSI). Toutefois, des outils comparables apparurent bien plus tôt en Afrique puisqu’on en connait déjà entre v. 240.000 et 190.000 AEC (MIS 7) dans des industries que l’on peut tout aussi bien attribuer au ‘’Sangoen récent’’ qu’au ‘’Lupembien ancien’’ étant donnée l’évolution graduelle des industries africaines. Très tôt toujours, v. 200.000 AEC au cours du MIS 7, ces outils de ‘’mode 4’’ apparurent dans l’industrie Hummalienne du Levant, qui resta cependant sans lendemain et fut de nouveau remplacée par du Moustérien de ‘’mode 3’’ [cf. atlas n° 2 – carte X]. L’explication de ce va et vient technologique s’intègre dans l’hypothèse cognitive qui sera présentée en fin d’introduction.
- Les armes composites (bois et pierre) : d’estoc ou lancées ? Des traces d’emmanchement des outils sont visibles dès le Paléolithique moyen, aussi bien en Eurasie moustérienne que dans les cultures MSA d’Afrique. Cette relation avec le Moustérien incite à penser que le début des emmanchements pourrait avoir été contemporain de l’apparition de la méthode Levallois ? Quoi qu’il en soit, sur le continent originel que nous avons dit très en avance sur le reste du Monde, les pointes atériennes – parfaites dès v. 80.000 AEC (MIS 5a) mais découlant de prototypes plus anciens – furent fabriquées avec une soie qui était sans contestation possible destinée à faciliter leur emmanchement. Ces armes anciennes étaient-elles lancées ou simplement maniées d’estoc au poing ? Des épieux primitifs – avec une pointe pouvant être durcie au feu – existaient déjà au Paléolithique inférieur. Ce n’était pas des armes de jet : pour les utiliser à la chasse ou à la guerre, il fallait s’approcher au plus près du gibier ou de l’ennemi qu’on voulait embrocher100. Au Paléolithique moyen, les épieux moustériens – pouvant désormais être terminés par une pointe de pierre emmanchée – devaient encore être utilisés d’estoc. En revanche, une sagaie est un objet plus léger qu’un épieu et que l’on peut de ce fait lancer pour atteindre son adversaire sans trop s’en approcher ; pour cela, elle est composée d’une hampe en bois, surmontée d’une fine pointe en pierre ou en os. De quand ce progrès date-t-il ? En Afrique du Sud, il est possible que des armes composites propulsées (à la main ou au propulseur ?) aient existé dès l’époque de Still-Bay, au tout début du MIS 4, c’est-à-dire dès 70.000 AEC101 environ ; par ailleurs, c’est à la même époque et dans la même région que les premières colles chauffées sont attestées, ce qui n’est peut-être pas sans rapport. Mais en Eurasie, les sagaies pourraient être apparues seulement v. 50.000 AEC, avec tout le reste de la panoplie du Paléolithique supérieur ? De ce fait, on peut se demander si elles n’ont pas été le vecteur de la grande et rapide extension des peuples Déné-Caucasiens qui se répandirent à l’Est et à l’Ouest aux alentours de cette date ? En tout cas, les sagaies seront des marqueurs caractéristiques de l'Aurignacien européen, dont il est légitime de rattacher l’expansion à ce groupe ethnolinguistique comme cela est proposé dans le présent atlas n°3. Apparus dès l’Aurignacien, les fameux ‘’bâtons percés’’ (autrefois dits ‘’bâtons de commandement’’) auraient été des outils complémentaires, utilisés pour mettre en forme les hampes et/ou les pointes (os, ivoire) de ces sagaies102.
- Les aiguilles à chas. Des pointes en os qui auraient pu être utilisées comme des alènes ont été découvertes dans les sites MSA d’Afrique du Sud, aux alentours de v. 60.000 AEC, au voisinage de la limite entre les MIS 4 et MIS 3. Toutefois, jusqu’à présent, les aiguilles à chas les plus anciennes ont été retrouvées en Eurasie. Quoi que cela ne soit pas attesté par l’archéologie, elles pourraient être apparues dans la région du ‘’hub’’ moyen-oriental en même temps que le reste de la panoplie du Paléolithique supérieur eurasien, peut-être v. 50.000 AEC ? Puis, au sortir du MIS 4, l’aiguille à chas aurait constitué un important vecteur de l’expansion humaine sur la ‘’voie du Nord’’, reliant le Moyen-Orient à la Chine via le système des steppes asiatiques. De fait, une aiguille à chas trouvée à Denisova (Altaï) daterait d’environ 42.000 AEC, date où l’expansion Eurasiatique avait déjà atteint ces lieux en provenance du Moyen-Orient [cf. carte L] ; mais il serait logique que l’expansion Déné-Caucasienne – qui la précéda selon toute vraisemblance – ait déjà bénéficié de cet accessoire indispensable à la confection de vêtements chauds sans lesquels il aurait été impossible de traverser les hivers sibériens du MIS 3. Au second pléniglaciaire, les aiguilles à chas seront bien attestées en Europe. Au total, ce petit instrument d’apparence anodine – qui permettait de réaliser des vêtements complexes bien ajustés – pourrait avoir été déterminant pour le succès de l’expansion humaine dans les régions froides. En ce sens – comme tous les progrès qui facilitent la vie des Hommes – il s’est agi d’une arme miniature, que l’on peut imaginer surtout maniée par des femmes ; guerrières à leur façon !
- Les lamelles / ‘’mode 4-(5)’’ et les microlithes / ‘’mode 5’’. Dans la longue marche vers notre Monde actuel, la miniaturisation des lames de pierre, ou microlithisme, fut une étape aussi importante que l’agriculture, la poterie, le métal, l’écriture, l’imprimerie ou l’informatique ; l’un de ces progrès technologiques qui articulèrent un ‘’avant’’ et un ‘’après’’ où tout était significativement différent. Des pièces lithiques de petite taille sont attestés dès v. 70.000 AEC (début du MIS 4) dans les industries précocement modernes du Sud de l’Afrique. Techniquement, cela réalise une industrie de ‘’mode 4-(5)’’ qui se serait développée environ 35.000 ans plus tôt qu’en Eurasie ! Certains chercheurs qualifient ces petites pièces d’authentiques microlithes tandis que d’autres atténuent la portée de ces découvertes en avançant que les petites pièces anciennes – non géométriques – pourraient n’avoir été que des déchets de fabrication ou bien des lames plusieurs fois retouchées ‘’jusqu’au trognon’’ mais sans qu’elles résultent d’une véritable conception planifiée pour réaliser des outils complexes. Mais alors, pourquoi ne trouve-t-on pas de tels déchets partout avant ou partout ailleurs ? La même question se posera en Eurasie du Paléolithique Supérieur Moyen (PSM), avec les premières pièces lithiques de petite taille – souvent qualifiées de lamelles – dont le statut véritablement microlithique est discuté par des chercheurs plus ou moins enclins à le leur accorder [cf. carte O]. C’est pour cette raison que nous qualifions cette étape PSM de ‘’mode 4-(5)’’, désignation qui permet de la distinguer des microlithes plus récents. Plus tard, les microlithes géométriques du Paléolithique Supérieur récent (PSR) furent sans conteste des modules standardisés qui étaient intentionnellement miniaturisés pour être emmanchés sur des armatures de bois ; il en résultait des outils complexes diversifiés, dont la forme et la fonction préfiguraient déjà ceux qui, plus tard, furent réalisés en métal. Nombre de ces microlithes devaient entrer dans la fabrication d’outils contondants, parmi lesquels des projectiles barbelés. Dans certaines régions d’Afrique, ces microlithes géométriques apparaissent au début du MIS 3, c’est-à-dire v. 55.000 AEC. Dans l’atlas, nous attribueront ce type d’industrie avancée à un ‘’mode 5’’, succédant au ‘’mode 4-(5)’’ du MIS 4. En Eurasie, la miniaturisation des pièces lithiques fut, nous l’avons dit, plus tardive qu’en Afrique ; sans trancher le débat entre chercheurs sur leur nature de ‘’lamelles’’ (simples lames de petite tailles) ou de véritables ‘’microlithes’’ (destinés à réaliser des outils complexes), on peut dater les débuts de la miniaturisation eurasienne aux alentours de 35.000 AEC et la situer une fois de plus dans la région du ‘’hub’’ moyen-oriental en raison de la dynamique multiaxiale de son expansion géographique. Ainsi, on trouve des microlithes v. 33.000 AEC en Inde, au Levant et en Asie Centrale ; vers 30.000 AEC en Europe gravettienne et dans les steppes proches de l’Altaï ; vers 26.000 AEC en Mongolie et en Cis-Baïkalie ; vers 24.000 en Sibérie Orientale, en Mandchourie et en Chine du Nord ; et vers 22.000 AEC en Afrique du Nord qui avait jusque-là pris du retard sur le reste de l’Afrique dont elle était coupée par la barrière du Sahara qui est toujours hyperaride pendant les périodes glaciaires. A cette époque ‘’récente’’ de la seconde partie du Paléolithique supérieur eurasien (Paléolithique Supérieur Moyen, PSM et Paléolithique Supérieur Récent, PSR), les progrès technologiques continuaient d’être véhiculés par les migrations humaines mais pouvaient désormais également se répandre d’une population moderne à une autre, selon un processus d’acculturation qui se mit alors – et alors seulement – à fonctionner de la même façon qu’aujourd’hui ! De sorte que, pour la première fois, c’est à partir de cette époque (seconde partie du MIS 3) que le mot ‘’culture’’ peut véritablement commencer à être utilisé à bon escient sur le continent eurasien. Nous avons vu cependant que le Sud-Est asiatique et le monde australien restèrent réfractaires à tous ces progrès jusqu’à l’Holocène.
- Le Propulseur. Le propulseur est un outil remarquable qui démultiplie la force du bras pour lancer un projectile emmanché ; que ce soit à la chasse ou à la guerre, qui n’étaient pour les peuples premiers que deux facettes d’une même réalité. Peut-être avant même le développement d’un véritable microlithisme, le propulseur découla-t-il d’une tendance à la miniaturisation des pièces lithiques, et du développement des outils en os. Il n’existe aucune preuve de l’utilisation du propulseur en Afrique, mais on ne peut pas exclure que certaines pointes de petite taille très anciennes, atériennes ou nubiennes, n’aient pas été emmanchées pour être propulsées ? Auquel cas, cette invention pourrait dater d’environ 70.000 AEC, dans une Afrique qui fut précocement innovante dans bien des domaines et qui le fut tellement que d’authentiques arcs auraient même pu rendre le propulseur obsolète dès v. 50.000 AEC, au moins dans certaines régions d’Afrique [cf. ci-dessous] ? Cette inconnue africaine étant posée, le propulseur apparait essentiellement dans nos sources comme une technologie propre au continent eurasien et de ses deux prolongements lointains, l’océanien et l’américain. En Eurasie, le propulseur est attesté v. 30.000 AEC, mais il pourrait avoir été plus ancien puisqu’on le trouve aussi bien à l’Ouest chez les *Gravettiens, qu’à l’Est chez les Eurasiatiques Amérindes qui semblent s’être séparés les uns des autres entre v. 45.000 et 35.000 AEC et dont l’expansion respective devrait peut-être lui être attribuée ? Ceci dit, rien n’empêcherait qu’une technologie de ce type ait été réinventée plusieurs fois en plusieurs lieux. En Amérique, le propulseur était encore en usage lorsque les Espagnols vinrent mettre un terme brutal à l’évolution séparée de ses habitants. Les Australiens aussi utilisèrent le propulseur jusqu’à ce que les Anglais s’imposent tout aussi brutalement sur leur sol. A ce propos, il est intéressant de remarquer que la Tasmanie ignora toujours son usage jusqu’à l’extermination de ses habitants, probablement parce que ceux-ci étaient les derniers représentants d’une Humanité moderne ancienne, antérieure à son invention.
- L’arc et les flèches. Nous avons déjà rencontré plus haut cette technologie demeurée en service actif jusqu’au seuil de notre époque, puisqu’elle était encore sollicitée dans des guerres tribales océanienne qui ne prirent fin qu’au milieu du XX° siècle. En effet, nous avons dit qu’en Afrique, de petites pointes pourraient avoir servi de pointes de flèche dès v. 50.000 AEC voire dès le début du MIS 4, remplaçant peut-être des prototypes plus anciens qui auraient été mus à la main ou par d’hypothétiques propulseurs africains non encore attestés ? En Eurasie, ce progrès, comme bien d’autres, fut beaucoup plus tardif. Il est possible que les peuples européens aient déjà connu l’arc et les flèches dès v. 20.000 AEC si les petites pointes de la gravette étaient des pointes de flèches comme certains l’ont avancé ? Mais, en Europe, le premier arc authentifié date de l’interstade de Lascaux, aux alentours de 18.000 à 17.000 AEC [cf. carte T].
- La céramique et la poterie. Comme les autres progrès évoqués dans ces pages, l’invention de la céramique se situe à des époques très différentes selon les lieux étudiés. Les toutes premières céramiques connues au Monde proviennent de l’Europe Centrale gravettienne (Pavlovien) v. 29.000 AEC, c’est-à-dire vers la fin du MIS 3. Mais il s’agissait d’artéfact à vocation ‘’artistiques’’, qui n’étaient absolument pas adaptés à un usage domestique. Pour cela, il faudra attendre le milieu du MIS 2 où les premières poteries utilitaires du Monde seront observées v. 20.000 AEC en Chine du Sud ; c’est-à-dire paradoxalement dans une région qui avait mis longtemps avant d’exprimer des marqueurs modernes. Il est difficile de comprendre ce que ce contraste signifie ? A partir de là, les poteries diffuseront assez rapidement en Eurasie Orientale ; mais elles ne seront connues qu’après le début de l’Holocène en Asie Occidentale, en Europe et en Afrique.
Au travers de ces divers exemples partiellement accessibles à l’observation103, deux faits se dégagent :
- A partir du Paléolithique supérieur en Eurasie, mais dès l’Âge Moyen de la pierre (MSA) en Afrique, l’existence de cognitions modernes peut être postulée étant donné l’observation de marqueurs modernes (i.e., outils lithiques laminaires, outils en os d’utilisation complexe, manifestations ‘’artistiques’’). A partir de là, le rythme des inventions commença à s’enchainer plus rapidement, par rapport aux très lentes avancées des époques précédentes. C’est seulement alors qu’il devient licite de parler de ‘’cultures’’ au sens complet du terme. Mais par rapport au rythme des progrès que nous avons connus dans les derniers millénaires avant le présent, il s’agissait toujours d’un rythme assez lent ! En effet, lorsque l’on prend de la hauteur temporelle pour observer l’ensemble du parcours technologique de l’Humanité moderne depuis la mutation ‘’normo-cognitive’’104, on se rend compte que nos ancêtres du Paléolithique supérieur se situaient seulement dans la partie quasi-horizontale de l’asymptote du progrès, tandis que nous nous situons dans la partie quasi-verticale de cette asymptote, en un point désormais tout proche de la singularité technologique qui en constitue l’infini. Le schéma ci-dessus représente cette progression des technologies culturelles où le microlithisme se situe au niveau du point d’inflexion de la courbe.
- Quel que soit le nom que les préhistoriens lui ont donné sur les divers continents, le Paléolithique supérieur commença toujours par les même marqueurs déjà cités (i.e., outils lithiques laminaires et outils en os d’utilisation complexe ; manifestations ‘’artistiques’’). A cet égard, répétons-le, il est remarquable de constater que tous ces progrès technologiques – qu’on devine sous la dépendance de cognitions devenues proches des nôtres – se manifestèrent : 1) très tôt sur le continent de naissance de l’Homme moderne ; 2) plus tard dans ses colonies d’Eurasie Occidentale, méridionales et septentrionales, antérieurement peuplées par les Néandertaliens et Néandertaloïdes levalloisiens ; 3) très tard dans ses colonies du Sud-Est asiatique, antérieurement peuplées par des Dénisoviens demeurés attardés dans des vieilles industries de mode 1 héritées du Paléolithique inférieur.
Pourquoi ces constats ?
ONTOGENIE ET PHYLOGENIE DES COGNITIONS
‘’L’ontogénèse récapitule la phylogénèse’’ ! Depuis la fin du XIX° siècle, cette célèbre maxime de Haeckel a subi bien des critiques. Mais s’il ne s’agit pas d’une loi mathématique, puisqu’on peut lui trouver des failles ici ou là, elle se vérifie néanmoins le plus souvent.
Ontogénèse des compétences cognitives
Comme bien d’autres organes et fonctions, nos cognitions se développent selon un processus ontogénétique qui fut exposé par Piaget dans la première moitié du XX° siècle. Depuis cette époque, les connaissances neurocognitives ont beaucoup évolué et il ne reste rien de concret de l’approche psychanalytique qui a parasité ce travail pionnier. Mais une fois débarrassée de ces scories, la classification de Piaget demeure intéressante en cela qu’elle marque des étapes cognitives repérables, au cours desquelles la grille de lecture du monde et la manière de réagir à cette lecture changent profondément chez les enfants Humains modernes. Pour la résumer, l’enfant passe par une série de stades (et de sous-stades) successifs au cours desquels son intelligence et ses compétences évoluent drastiquement. Sans chercher à critiquer, ni à justifier, ni à détailler les termes de Piaget, les stades repérés sont les suivants :
- stade sensorimoteur (0 à 2 ans). Au cours duquel l’enfant échange avec le monde en utilisant essentiellement une interface sensorielle et motrice.
- stade préopératoire (2 à 6 ans). Au cours duquel l’enfant commence progressivement à manier des symboles et apprend à parler ; mais supplée son incapacité à raisonner logiquement par un fonctionnement de type intuitif. Une première sous-phase dite de ‘’pensée pré-conceptuelle’’ caractériserait l’enfant entre 2 et 4 ans ; à cet âge, il n’a pas encore la possibilité de générer des catégories regroupant des entités qui sont semblables par certains aspects et différentes par d’autres (par exemple, classer un chat et un oiseau dans une même catégorie ‘’animaux’’) ; la lecture (qui nécessite d’associer un signifiant arbitraire à une réalité signifiée) est impossible. A la sous-phase suivante, que Piaget appelle ‘’pensée intuitive’’ et qu’il situe entre 4 et 6 ans, la lecture commence à devenir possible. C’est manifestement lors cette seconde phase du ‘’stade préopératoire’’ que s’arrête le développement cognitif des Chimpanzés / Bonobos, puisque les plus doués et les mieux entrainés d’entre eux sont capables de ces opérations. Ainsi, après un entrainement intense, des Bonobos peuvent apprendre à lire des lexigrammes dépourvus de tous liens évidents avec les choses désignées (symboles) et peuvent même comprendre des actions complexes qu’on leur demande de réaliser via ce média.
- stade des opérations concrètes (6 à 11/12 ans). Au cours duquel l’enfant développe une pensée logique mais seulement basée sur des notions concrètes.
- stade des opérations formelles (> 11/12 ans). A partir duquel le raisonnement abstrait, de type adulte, commence à devenir possible. Cela étant, il reste encore à préciser que la maturation des régions antérieures de notre cerveau (i.e. les régions les plus ‘’cognitives’’) n’est pas terminée avant l’âge de 20 ans environ, et que, donc, le développement ontogénétique du substratum cognitif des Humains modernes ne s’achève vraiment qu’à cet âge. Il est bien évident que ce n’est pas la sagesse des législateurs de toutes époques et de tous lieux qui a fixé au voisinage de 20 ans l’âge de la majorité légale : ce qui compte, c’est le fait biologique que les Humains modernes ne deviennent pleinement performants et donc pleinement autonome qu’à partir de cet âge !
Phylogénèse des compétences cognitives
Par définition, les autres animaux ne sont pas des Humains. Toute tentative d’établir des parallélismes entre leurs facultés cognitives et celles de nos enfants ne peut aboutir qu’à des approximations critiquables. Et cela d’autant plus que la progression des compétences cognitives de nos enfants Humains modernes pourrait être très tôt déformée par une ‘’attraction vers le haut’’ qui pourrait être induite par un effet ontogénétique précoce d’une série de mutations ‘’pro-cognitives’’ qui ont successivement donné naissance au groupe Ergaster, puis au groupe Heidelbergensis, puis au groupe Sapiens archaïque / Néandertaloïde, puis enfin au groupe Sapiens sapiens [cf. atlas n°2]. Toutes ces étapes par lesquelles les ancêtres des Humains actuels sont passés, et par lesquelles AUCUN des ancêtres des autres animaux actuels ne sont passés, y compris ceux des Chimpanzés.
Il n’en demeure pas moins que si tout n’est pas ‘’comparable’’, tout n’est pas non plus ‘’non comparable’’ et que l’estimation de l’’’âge mental’’ des animaux adultes donne au moins une certaine indication de leurs compétences intellectuelles globales. Ainsi, et sous toutes réserves, un Chien pourrait avoir l’intelligence moyenne d’un enfant de 2 à 3 ans (ils connaissent de nombreux mots mais sont inaccessibles à tous symboles et inaccessibles à la logique). Un Macaque pourrait avoir l’intelligence d’un enfant de 4 ans, et un Chimpanzé / Bonobo celle d’un enfant de 5 ans. Ces derniers ont accès aux symboles puisque, avec de l’entrainement, ils peuvent ‘’lire’’ des signifiants arbitraires qu’ils relient correctement à des signifiés concrets issus du Monde réel ; ils ont également la capacité de développer des stratégies, mais ils restent toute leur vie inféodés aux notions concrètes ; et lorsqu’ils s’essaient à dessiner pour nous imiter, ils ne parviennent à produire que des gribouillis informes. Comme des tout-petits enfants.
Compétences cognitives des Humains archaïques
On peut se permettre de prolonger le raisonnement en spéculant sur la cognition des Humains archaïques. En effet, si nous n’avons pas la possibilité de leur faire passer des tests neuropsychologiques, nous avons accès à leurs industries lithiques qui étaient nécessairement le produit de leurs compétences cognitives. Dans l’atlas n°2, nous avons maintes fois constaté que ces industries étaient initialement frustes et se sont très progressivement sophistiquées, selon une dynamique entrecoupée de paliers de très longue durée pendant lesquels nous ne décelons aucun changement ; paliers que nous avons déjà rappelés plus haut dans la présente introduction. Rejetant la notion de ‘’culture’’ au Paléolithique inférieur (les cultures sont caractérisées par la variation rapide de leurs productions dans le temps et dans l’espace ; pas du tout par une uniformité inchangée sur le très long terme), nous avons avancé que l’Oldowayen / mode 1 (début v. 3.000.000 AEC) devait être attribué à Homo ergaster et à ses proches descendants eurasiens appelés Homo erectus antecessor et Homo erectus erectus ; que l’Acheuléen / mode 2 (début v. 1.700.000 AEC) était le produit des capacités cognitives d’Homo heidelbergensis ; et que toutes les industries levalloisiennes et apparentées / mode 3 (début v. 650.000 AEC) étaient le produit des Homo sapiens archaïques regroupés ici sous le nom de Rhodesiensis en Afrique et de Néandertaliens / Néandertaloïdes en Eurasie. Ces compétences longtemps stagnantes n’ont évolué qu’à la suite d’une série de mutations ‘’pro-cognitives’’ qui ont été la matrice phylogénétique du développement ontogénétique par lequel passent encore nos enfants.
Dans cette logique, les individus du groupe ‘’Ergaster, Antecessor, Erectus’’, avec leurs cailloux cassés très frustes (Oldowayen), pourraient avoir atteint l’âge mental d’un enfant de 6 ans, guère plus doué qu’un Chimpanzé. Puis, avec leurs beaux bifaces bien symétriques qui complétaient une panoplie de galets cassés d’allure parfaitement oldowayenne, les Heidelbergensis / Dénisoviens (Acheuléen) pourraient avoir atteint l’âge mental d’un enfant de 8 ans ? Enfin, avec leur méthode cognitive évoluée, consistant à créer d’abord une matrice inutile en elle-même avant de produire des outils utiles à l’issue d’une seconde étape, les Sapiens archaïques / Rhodesiensis / Néandertaloïdes (Levalloisien) avaient accès à une pensée logique qui pourrait avoir été similaire à celle de nos enfants de 10 ans ? Pensée logique mais concrète ! Comme Pierre Dac, à la fameuse question philosophique ‘’Qui sommes-nous ? D'où venons-nous ? Où allons-nous ?’’, qui résume bien le sujet de cette série d’atlas, ils auraient probablement répondu très justement mais très concrètement : ‘’Je suis moi, je viens de chez moi et j'y retourne’’ ! Des individus qui demeureraient cognitivement toute leur vie des enfants de 10 ans (et à fortiori de 8 ans ou de 6 ans pour les stades antérieurs), pourraient-ils créer une civilisation technologique ? Auraient-ils la possibilité de créer une riche culture matérielle ? A l’évidence, la réponse est ‘’Non’’ ! Et c’est pour cette simple et unique raison qu’aucune civilisation technologique n’émergea jamais aux cours des beaux interglaciaires qui précédèrent le nôtre.
Et les premiers Humains modernes ? Pour accéder aux abstractions, le système de Piaget permet de supposer qu’ils atteignaient un âge mental au moins équivalent à 12 ans ; peut-être pas beaucoup plus au départ ? Il est possible que les premiers individus qui furent capables de cette nouvelle grille de lecture du Monde aient eu d’emblée un avantage sélectif sur tous les autres individus du voisinage ; peut-être parce que les autres étaient plus faciles à berner et à vaincre ? Dans ce contexte, la pression de sélection commença à tirer les cognitions de leurs descendants vers le haut, peut-être à un rythme beaucoup plus rapide que par le passé ?
Le schéma ci-dessus synthétise le raisonnement qui vient d’être tenu et dans lequel les âges mentaux proposés ne doivent pas être compris autrement que comme des ordres de grandeur qui n’auraient de valeur que comparativement les uns aux autres.
Les Hommes archaïques parlaient-ils ? Nous avons déjà abordé ce sujet très débattu [cf. atlas n°2]. Contentons-nous de dire ici qu’il existe des arguments solides pour penser que la configuration anatomique nécessaire à un langage articulé était déjà présente chez les Néandertaliens et que nous sommes moins bien renseignés sur les détails anatomiques des autres Hommes archaïques. Mais rappelons aussi que la plume est apparue bien avant le vol dans la lignée dinosaurienne des oiseaux, ou encore que les doigts et les poumons sont apparus bien avant le petit pas qu’osa faire hors de l’eau un poisson audacieux [cf. atlas n°1]105. De même, les systèmes biologiques (génétiques, mécaniques et neurologiques) nécessaires au langage, précédèrent nécessairement l’élaboration d’un langage capable de relater des faits et des souvenirs avec précision, et surtout de manipuler et de transmettre toutes les nuances de la pensée symbolique et abstraite (métaphorique). C’est le phénomène classique de l’exaptation : une partie essentielle de la machinerie biologique nécessaire à l’expression d’une fonction est présente AVANT que cette fonction émerge ; ensuite, elle n’a plus qu’à se renforcer grâce à la sélection naturelle qui favorise mécaniquement ce qui est le plus fonctionnellement utile au détriment de ce qui l’est moins ! Certes, les Humains archaïques devaient disposer de capacités de communication qui étaient certainement bien supérieures à celles des Chimpanzés et des Bonobos qui nous émerveillent déjà dans ces domaines. Il est même probable que leur communication comprenait un large éventail de sons et même de mots désignant des réalités concrètes de leur monde (proies, prédateurs, éléments naturels, et même noms personnels …). Mais il est invraisemblable qu’ils aient déjà possédé une pensée abstraite et un langage doublement articulé qui aurait été capable de transmettre toutes les nuances de leur pensée et de leur expérience, car, sinon, une civilisation technologique aurait dû apparaitre rapidement après l’émergence de ces capacités, au cours de l’un des nombreux interglaciaires qui précédèrent notre propre interglaciaire Holocène. Si leur univers technologique a stagné pendant si longtemps [cf. atlas n°2 et rappel chronologique ci-dessus], c’est nécessairement parce que les Humains archaïques – y compris les Sapiens archaïques dont faisait partie les Rhodesiensis africains et leurs proches cousins Néandertaloïdes eurasiens – ne possédaient pas des facultés cognitives et langagières aussi performantes que les nôtres. Où, pour être exact, que celles de la plupart des nôtres, car il existe toujours des Hommes modernes contemporains qui présentent d’importantes difficultés avec ces concepts, quand ils ne leurs sont pas tout simplement inaccessibles.
Pathologie des compétences cognitives
Nous l’avons dit, la comparaison entre la cognition des enfants Humains modernes et celle des animaux ou des Humains archaïques ne peut être qu’indicative d’un état de grandeur. Pareillement, les états pathologiques survenant chez les Humains modernes ne peuvent être invoqués qu’avec réserve pour spéculer sur les compétences cognitives des Humains archaïques. Nous constatons cependant aisément que si la plupart des Humains modernes ont accès à une pensée abstraite, cette compétence reste inaccessible à un certain nombre d’entre eux.
Au-delà de cette observation, il se pourrait que nous parvenions prochainement à comprendre pourquoi et comment ? Dans ce domaine, depuis le séquençage du génome des Néandertaliens et des Dénisoviens, des travaux pionniers commencent à pointer l’association entre des variants archaïques de certains gènes et des pathologies psychiques. L’avenir pourrait nous réserver des surprises en montrant – peut-être – que les individus modernes qui expriment préférentiellement telle ou telle forme archaïque de certains gènes, présentent davantage de difficultés cognitives objectivables que les autres personnes ?
LA RENCONTRE DES HOMMES MODERNES ET ARCHAÏQUES
L’atlas n°3 traite abondamment de la rencontre des Humains modernes avec les Humains archaïques. Notamment de leurs rencontres intimes, c’est-à-dire de leur métissage. Etant donné les compétences cognitives probablement différentes que nous venons de discuter à propos des différents types d’Hommes qui se sont succédés, ces métissages auraient-ils eu des conséquences cognitives que nous pourrions déceler archéologiquement malgré l’épaisse couche de terre qui recouvre les lunettes déformantes que nous braquons vers le passé ? C’est le sujet du dernier chapitre de notre introduction.
Le flux génique
Dans l’atlas n°2, nous avons postulé qu’il n’a jamais existé qu’une seule espèce humaine depuis Homo ergaster / erectus / antecessor, qui fut le premier grand singe dont le squelette post crânien était globalement identique au nôtre. La conséquence de cette position étant que toutes les dénominations latines bi-, tri- ou quadri-nominales qui sont couramment utilisées pour décrire la foule hétéroclite de ses descendants, seraient parfaitement abusives d’un point de vue zoologique ; abusives parce que ces dénominations donnent artificiellement l’impression d’un foisonnement de véritables espèces, là où il faudrait plutôt parler de géo-races et de chrono-races ! La notion d’espèce n’est pas consensuelle. Elle est particulièrement malmenée lorsque la passion taxonomique s’emballe et lorsque l’on accorde une foi excessive à cette taxonomie débridée qui voudrait nous forcer à admettre que deux espèces différentes peuvent être interfécondes. Il s’agit pourtant d’une tautologie qui, une fois repérée, devrait nous amener à modérer notre propension à nommer les choses différemment dès lors qu’on se trouve en présence de différences mineures106. Restons donc sur la définition totalitaire d’une espèce, basiquement basée sur l’incapacité de ses membres à se reproduire avec ceux d’une autre ! Certes, il existe des semi-espèces : Mulets et Ligrons sont là pour nous l’assurer ! Et certes, nous ne pouvons rejeter a priori ni la notion d’espèce ni celle de semi-espèce lorsque nous étudions les Humains archaïques dont le génome nous est inaccessible et le demeurera peut-être toujours. Tout ce que nous pouvons dire aujourd’hui est que les Humains modernes (Homo sapiens sapiens, apparus v. 300.000 AEC en Afrique de l’Est) étaient interféconds avec les Humains archaïques Néandertaliens (Homo sapiens rhodesiensis / neanderthalensis, apparu v. 650.000 AEC en Afrique de l’Est), et que tant les Humains modernes que les Néandertaliens étaient les uns et les autres interféconds avec les Humains archaïques Dénisoviens, appellation génétique qui correspond vraisemblablement aux Heidelbergensis (Homo heidelbergensis, apparu v. 1.700.000 AEC en Afrique de l’Est) [cf. atlas n° 2 pour ces dates]. Sur la base de ces constats que nous projetons dans un passé encore plus ancien, il est plausible d’inférer qu’Heidelbergensis fut interfécond avec Antecessor et Erectus, c’est-à-dire les formes eurasiennes respectivement occidentales et orientales des premiers Ergaster africains ; mais à l’heure actuelle, cette hypothèse n’est pas formellement démontrable. A ce stade du raisonnement, la notion de chrono-race doit être envisagée. Comme les géo-races, il s’agit d’une première étape d’éloignement entre deux groupes qui continuent d’appartenir à une même espèce en dépit de caractéristiques biologiques mineures en voie de divergence ; mais il s’agit dans ce cas d’un éloignement dans le temps, tandis que les groupes géo-raciaux s’éloignent dans l’espace. Dans les deux cas, cet éloignement est la première étape d’un processus de spéciation ; lequel finira par aboutir ou non à deux espèces en ce qui concerne les géo-races (selon que les races éloignés dans l’espace resteront longtemps séparées ou, au contraire, se réuniront rapidement à l’échelle des générations) ; et lequel aboutira nécessairement tôt ou tard à une spéciation inévitable en ce qui concerne les chrono-races (puisque les individus ne pourront jamais plus se rencontrer à défaut de pouvoir voyager dans le temps). Ainsi, en contradiction apparente avec l’affirmation initiale selon laquelle il n’exista qu’une seule espèce humaine depuis l’apparition d’Ergaster il y a environ 2.000.000 d’années, l’hybridation pourrait très bien être devenue impossible entre lui et nous si nous avions la possibilité de nous rejoindre de part et d’autre de ce gouffre temporel ! Tout comme elle pourrait encore être possible cependant, parce que rien ne vient garantir qu’un écart de 80.000 générations est systématiquement suffisant pour séparer deux authentiques espèces ! Mais, quoi qu’il en soit, cela ne change rien au fait qu’un flux de gêne continu nous relie à Ergaster (et à ceux qui l’ont suivi) à travers le temps, tout comme un flux de gènes continu relie depuis toujours entre elles les géo-races de notre Humanité moderne. Ainsi, les deux extrémités d’un continuum géographique et/ou temporel peuvent très bien constituer des espèces distinctes (au sens d’une absence d’interfécondité) sans que cela n’entrave en rien l’existence continue d’un flux génétique entre ces extrémités107. De la sorte, il est hautement probable que les Erectus / Antecessor (arrivés les premiers en Eurasie) ont échangé des gènes avec les Heidelbergensis / Dénisovien (arrivés les seconds en Eurasie)108 ; tandis qu’il est prouvé que ceux-ci ont bien échangé des gènes avec les Néandertaloïdes (arrivés les troisièmes en Eurasie) ainsi qu’avec les Sapiens modernes (arrivés les quatrièmes en Eurasie). Vu de la sorte, au sens d’un flux de gènes continu, il devient évident qu’il n’exista bien qu’une seule espèce humaine depuis Ergaster ! Au sens d’un échange de gènes continu entre tous ses descendants.
Mais alors, qu’est-ce qui pouvait bien distinguer les diverses chrono-races ou chrono-étapes qui nous séparent de lui ?
Hypothèse structurante
Tout comme la taille d’une personne ou sa pigmentation, ses cognitions sont sous la dépendance principale de facteurs génétiques. De ce constat résulte qu’une rencontre entre des Humains modernes – que nous présenterons dans l’atlas comme ‘’normo-cognitifs’’ – et des Humains archaïques – que nous qualifierons de ‘’pauci-cognitifs’’ –, pourrait avoir eu pour conséquence la naissance de métis dont les compétences cognitives étaient inférieures à celles de leurs parents modernes ? Ce qui pourrait avoir suffi à leur faire perdre temporairement l’accès à l’abstraction, et peut-être aussi l’accès à certaines compétences praxiques109 nécessaires pour créer le type d’artéfacts que nous attribuons technologiquement au ‘’Paléolithique supérieur’’ / ‘’mode 4’’ ?
En référence au développement ontogénétique des cognitions de nos enfants [cf. ci-dessus], nous avons dit qu’un âge mental d’environ 12 ans au moins doit impérativement être atteint pour accéder à la pensée abstraite. Cette barrière d’âge peut être considérée comme un seuil au-dessus duquel ou en-deçà duquel n’importe quel individu ancien ou actuel peut être situé : on a accès ou on n’a pas accès à la pensée abstraite selon qu’on se situe d’un côté ou de l’autre de ce seuil ! Pour progresser dans le raisonnement, il nous faut maintenant reprendre les estimations d’âge mental grossièrement tentées plus haut ; et nous livrer à des calculs qui sont assurément simplistes dans le détail mais qui illustrent peut-être un principe à prendre en compte ? La base est la suivante : Ergaster / Antecessor / Erectus = 6 ans ; Heidelbergensis / Dénisovien = 8 ans ; Sapiens ‘’Néandertaloïdes’’ / Sapiens rhodesiensis = 10 ans ; Sapiens sapiens ancien = 12 ans = accès à l’abstraction.
A partir de cette base, si l’on calcule de très bêtes moyennes, un métis ‘’Moderne + Néandertaloïde’’ = 11 ans (= accès limité à l’abstraction) ; un métis ‘’Néandertaloïde + Heidelbergensis’’ = 9 ans (= pensée concrète) ; un métis ‘’Heidelbergensis + Erectus’’ = ‘’Dénisovien méridional’’110 = 7 ans (= pensée concrète pauvre) ; et un métis ‘’Moderne + Dénisovien méridional’’ = 9 ans ½ (= pensée concrète). Ces hypothèses sont résumées sur le schéma ci-dessous où l’on visualise bien que tous les métissages survenus entre des Hommes modernes anciens – qui atteignaient tout juste le seuil de la porte du Monde des abstractions et des innovations – et des Hommes archaïques moins compétents qu’eux, pourraient avoir inévitablement ramené les descendants métis dans un état de pensée concrète incompatible avec l’innovation technologique et l’établissement d’une société complexe avancée.
Nos calculs peuvent apparaitre dérisoires, voire même rebutants de bêtise au point de faire regretter au lecteur la patience dont il a fait preuve jusque-là ! Il aurait tort ! Car – illusoire précision mathématique mise de côté – ils constituent un modèle d’explication cohérent de toute l’anthropologie mondiale que nous allons essayer de reconstituer dans l’atlas n° 3 qui couvre l’intégralité de la dernière glaciation. Nous allons nous appliquer à le justifier.
La première expansion des cognitions modernes
Que s’est-il passé à l’origine des Hommes modernes ? Au MIS 8 (seconde phase du complexe glaciaire de Riss), il y a environ 300.000 à 250.000 ans111, ce n’est pas une nouvelle espèce humaine qui émergea dans une Afrique de l’Est dont les communautés étaient à la fois démographiquement réduites et en même temps géographiquement fragmentées par la sècheresse qui résultait classiquement d’un épisode glaciaire intense [cf. atlas n°2]. Pas plus que l’apparition d’une plume orange, à l’endroit où tous les autres oiseaux de la même espèce arborent une plume jaune, l’apparition d’une nouvelle particularité cognitive n’impliquait l’émergence d’une nouvelle espèce ! Les espèces n’apparaissent pas en claquant des doigts ! Ne soyons pas dupes de notre esprit de catégorisation qui nous a fait nommer Homo sapiens sapiens idaltu ces premiers Hommes modernes anciens ! Si l’on veut bien sauter au-dessus des barbelés taxonomiques abusivement tendus en travers des prairies où tremblotent les ombres de nos ancêtres, ces étranges noms pseudo-latins ne conservent une utilité que pour scander un processus continu.
L’évènement qui redoubla notre qualificatif de ‘’sapiens’’ fut ‘’simplement’’ une mutation, modeste sur le plan génétique mais considérable sur le plan fonctionnel en ceci que cette mutation modifia profondément les capacités cognitives des êtres chez qui elle était survenue. Certains chercheurs pensent qu’il pourrait s’agir d’une mutation de FOXP2, un gène qui intervient dans le langage112. Mais sans chercher à l’identifier plus avant, nous l’appellerons simplement mutation ‘’normo-cognitive’’ parce qu’elle conféra à ces individus des capacités cognitives que nous considérons aujourd’hui comme ‘’normales’’ chez les adultes modernes de notre espèce. Concrètement, la mutation améliora très significativement les facultés de décryptage du Monde chez ses bénéficiaires, en leur donnant notamment accès au maniement des abstractions ; ce qui leur permit d’élaborer un langage doublement articulé, qu’ils purent faire reposer sur des liens arbitraires établis entre des signifiants et des signifiés (Saussure). Aucun des autres Humains contemporains – Sapiens archaïques Rhodesiensis, Sapiens archaïques Néandertaloïdes, Heidelbergensis / Dénisoviens, Naledi d’Afrique du Sud et Hobbits de Flores – ne possédait cette faculté. Mais avoir des cognitions améliorées ne suffisait pas pour faire des Sapiens sapiens une espèce différente de celle des autres Humains. Ils étaient juste des Sapiens plus doués que les autres, parce que la Nature avait par hasard entrouvert la porte de la prison cognitive où avaient vécu leurs ancêtres et depuis le fond de laquelle ceux-ci ne percevaient qu’une partie seulement de ce qui nous est désormais accessible ; les tous premiers Hommes modernes étaient simplement des Sapiens ‘’améliorés’’ qui venaient d’acquérir des outils cognitifs suffisamment performants pour leur permettre, enfin, d’innover et, enfin, de créer des ‘’cultures’’ authentiques ; mais qui avaient encore tout à inventer sur la base de leur vieille technologie levalloisienne qui était la véritable marque de fabrique de tout le groupe Sapiens depuis des centaines de milliers d’années ! Pourtant, même avant d’avoir eu le temps de construire un Monde de nouvelles technologies et de nouvelles communications, l’intelligence aiguisée de ce nouveau groupe humain lui donnait déjà un avantage direct et immédiat sur tous ses contemporains. Alors, favorisée par ce blanc-seing de la Nature, la communauté moderne commença à se répandre autour d’elle, dans cette Afrique de l’Est dont elle était originaire.
Evidemment, les premiers voisins qu’ils rencontrèrent furent leurs proches cousins Sapiens archaïques africains que nous avons collectivement regroupé sous la dénomination pratique d’Homo sapiens rhodesiensis ‘’récents’’, en refusant le foisonnement des autres dénominations pseudo-spécifiques. Comme leurs cousins modernes qui venaient de s’extraire de leurs rangs, ces Rhodesiensis ‘’récents’’ maniaient une industrie levalloisienne basique, qui constituait la forme ancienne et encore indifférenciée113 du Paléolithique moyen africain, appelé Âge Moyen de la Pierre sur ce continent (Middle Stone Age, MSA). Cette industrie était technologiquement très voisine de celle des Néandertaloïdes moustériens d’Eurasie, issus comme eux d’Homo sapiens rhodesiensis ‘’anciens’’, mais issus d’un groupe de ceux-ci qui avait autrefois quitté l’Afrique ‘’pour’’ partir à la conquête du continent septentrional. Faute de mieux, on qualifiera de MSA-Ancien, ces industries levalloisiennes indifférenciées que nous attribuons à Rhodesiensis.
En Afrique, une première évolution du Levalloisien indifférenciée / MSA-Ancien réalisa le MSA-Sangoen. Quoique cela reste à prouver, il est possible que cette industrie ait été celle des premiers Humains modernes ? Elle restait cependant extrêmement voisine du Moustérien d’Eurasie, en dépit de quelques rares mais authentiques éclats laminaires parmi son éventail d’outils114 ; ce qui nous autorise à identifier le Sangoen comme un ‘’mode 3-(4)’’ sur les cartes. En l’absence d’autres marqueurs ‘’modernes’’ – comme des outils en os et des témoignages ‘’artistiques’’ (ocres, parures) – le Sangoen émergeant apparait cependant encore globalement peu distinct du Levallois indifférencie / MSA-Ancien, ce qui ne permet pas de définir consensuellement l’époque de son origine115.
S’il ne s’agit pas seulement d’une lacune de nos observations, la pauvreté des marqueurs ‘’modernes’’ dans le Sangoen émergeant pourrait signifier que – malgré des cognitions modernes – il fallut du temps pour innover à partir de la base ancestrale ? Mais – en avance sur le raisonnement qui va bientôt être tenu au sujet de l’Eurasie – on peut aussi se demander quelles furent les conséquences cognitives du métissage des premiers Hommes modernes ‘’normo-cognitifs’’ avec leurs cousins Rhodesiensis qui étaient demeurés ‘’pauci-cognitifs’’ ? Selon les calculs grossiers auxquels nous nous sommes livrés plus haut, les personnes nées de ces relations pourrait avoir eu un âge mental moyen de 11 ans qui les auraient fait repasser ‘’en moyenne’’ juste au-dessous du ‘’seuil de la pensée abstraite’’. Dans ce cas, il se pourrait qu’il ait fallu ‘’un certain temps’’ pour que la pression de sélection élimine les gènes ‘’pauci-cognitifs’’ au sein des tribus métissées ; et donc un ‘’certain temps’’ pour que, dans ces tribus, les facultés modernes ré-émergent de nouveau au-dessus du ‘’seuil de la pensée abstraite’’.
En décrivant la première extension du groupe originel chez qui était apparue la mutation ‘’normo-cognitive’’, on devine la façon dont l’Humanité moderne colonisa le Monde entier de proche en proche. On peut se représenter les choses de la manière suivante : forts de leurs capacités psychiques nouvelles, et bien qu’encore ignorants de toutes les potentialités technologiques qu’elles recelaient, les premiers Humains modernes ‘’normo-cognitifs’’ de la première tribu moderne s’étendirent concentriquement dans toutes les directions, et se mêlèrent avec les Humains archaïques des tribus alentours ; et cela d’autant plus facilement que ces derniers n’étaient (presque) en rien différents d’eux. Il en résulta nécessairement une première pause de l’expansion moderne, car les enfants ‘’métis’’ virent régresser leur accès à la pensée abstraite et donc perdirent tout avantage guerrier sur leurs voisins ‘’pauci-cognitifs’’ de ‘’pur-sang’’. Mais en promouvant inlassablement ce qui est le plus efficace, la pression de sélection se mit à favoriser les gènes ‘’normo-cognitifs’’ qui s’étaient éparpillés au sein de ces tribus mixtes, parce que les individus qui les possédaient tiraient mieux que les autres leur épingle du jeu dans la dynamique sociale interne à leur groupe ; ce dont il résulta qu’au bout de quelques générations ces tribus mixtes furent de nouveau homogènement composées d’individus redevenus capables d’une pensée abstraite ; et donc d’individus qu’il nous faut appeler des ‘’Hommes modernes’’ au sens cognitif du terme. Peu importe pour cela si ces individus n’étaient plus tout à fait de ‘’pur-sang’’ du point de vue de la tribu originelle où était apparue la mutation ‘’normo-cognitive’’116. Un homme moderne, c’est un homme qui possède une pensée ‘’normo-cognitive’’, quelle que soit sa généalogie complète. Bien sûr, ces Hommes redevenus modernes disposèrent à nouveau d’un atout cognitif qui les favorisa dans les conflits territoriaux qui ne manquèrent pas de surgir avec leurs voisins demeurés archaïques.
Alors, à partir de ce périmètre de tribus modernes qui venait de s’élargir, le processus d’expansion recommença et le territoire des tribus archaïques voisines fut à son tour colonisé. Par conséquent, les nouveaux métissages qui résultèrent de cette seconde phase d’expansion firent, comme les premiers, repasser les nouveaux métis au-dessous du ‘’seuil de pensée abstraite’’ ; et la pression de sélection recommença une nouvelle fois son œuvre pour favoriser une nouvelle fois la descendance des individus qui étaient les plus compétents parmi ces nouveaux métis. Alors, le mécanisme concentra de nouveau les individus ‘’normo-cognitifs’’ qui retrouvèrent un avantage pour s’étendre encore plus loin.
Ainsi, l’expansion moderne se fit elle au rythme des pétarades d’un moteur à deux temps : expansion ‘’normo-cognitive’’ à pause hybridée ‘’pauci-cognitive’’ à nouvelle expansion ‘’normo-cognitive’’ à nouvelle pause hybridée ‘’pauci-cognitive’’ à etc.
Avançant de cette manière, les Hommes modernes progressèrent à la manière d’un feu de prairie qui grignotait concentriquement la plaine mais qui laissait repousser derrière lui une herbe nouvelle, il fallut près de 300.000 ans pour que le Monde entier soit recouvert par ce verdoyant regain !
Il n’y a pas lieu de penser que ce phénomène combinant une mutation génétique pro-cognitive (i.e. donnant un avantage) et des métissages fut unique dans l’histoire. On peut même le transposer en bloc dans le passé du passé que nous étudions, notamment lors du processus de remplacement des Heidelbergensis acheuléens par les Sapiens archaïques levalloisiens (Rhodesiensis demeurés en Afrique et Néandertaloïdes migrés en Eurasie) et, plus anciennement encore, lors du processus de remplacement des Erectus / Antecessors oldowayens par les Heidelbergensis acheuléens, africains et Eurasiens [cf. atlas n°2].
Sur le plan génétique, il est possible que les premiers Humains modernes aient exprimé l’haplogroupe ADN-Y A00 ; parce qu’il est le plus ancien que nous connaissons et parce que son origine pourrait bien dater du MIS 8.
Notes :
(99) Clark, 1969. Les modes 1, 2 et 3 sont détaillés dans l’atlas n°2. Retour
(100) Cependant, certains ont cru identifier des javelots (version de jet de l’épieu) dès v. 300.000 AEC en Europe, là où d’autres n’ont vu que de simples épieux tenus à bout de bras. Retour
(101) Certains chercheurs pensent même qu’il pourrait s’être agi de flèches ! Cf. plus loin, au sujet des flêches.Retour
(102) Une fois redressées, les baguettes sont taillées en pointes avec une extrémité offensive et une autre aménagée pour faciliter sa fixation sur la hampe. Retour
(103) D’autres nous le sont beaucoup moins. Par exemple : De quand peut bien dater la fabrication de vêtements en fibres de bois battues ? De quand datent les premiers paniers tressés ? Quels ont été les progrès de la conservation des aliments ? Quels ont été les progrès dans la fabrication des colles ? Etc. Retour
(104) Pour ce terme, cf. plus loin dans l’introduction. Retour
(105) Beaucoup de dinosaures possédaient des plumes, mais seul leur rameau que nous appelons oiseaux a développé un vol battu. Pareillement, mains et poumons sont apparus chez des poissons, plusieurs dizaines de millions d’années avant la fameuse sortie des eaux. N’allons pas imiter Pangloss, le professeur de métaphysico-théologo-cosmolo-nigologie de Candide, qui s’émerveillait que, dans son Divin projet, le Créateur avait conçu le nez de telle façon qu’il nous permettait de porter des lunettes ! Ni l’os hyoïde, ni la langue, ni le palais, ni les lèvres, ni les aires cérébrales de Broca et de Wernicke, ne peuvent avoir été ‘’conçues’’ à l’origine pour produire un langage ! L’évolution ne fonctionne pas comme cela. Retour
(106) Si nous étions des paléontologues de l’avenir et que nous venions découvrir de nombreux squelettes de l’espèce disparue que nous appelons Chien, il est certain que Canis familiaris serait éclaté en de nombreuses espèces et même probablement en des genres différents ; tant il est évident qu’un Boxer est différent d’un Lévrier afghan … et pourtant ! Retour
(107) Les géo-races humaines modernes sont trop récentes et trop peu étanches pour illustrer ce phénomène, mais on peut se tourner vers d’autres exemples de la nature pour le valider : celui des Goélands, interféconds de proche en proche sur la circonférence de l’hémisphère Nord jusqu’à un point où les deux extrêmes ne le sont plus ; ou celui, identique des Salamandres californienne sur le pourtour de la vallée de la Mort. Dans les deux cas, on parle de spéciation en anneau. Retour
(108) On ne peut pas l’affirmer en l’absence de connaissance actuelle du génome Erectus. Si nous disposions de cette information, nous verrions peut-être un gradient entre les populations néo-guinéenne (qui expriment beaucoup de gènes Dénisoviens et peut-être de gènes Erectus ?), les populations de Chine du Sud (qui expriment beaucoup de gènes Dénisoviens et peu de gènes Erectus) et les populations de Chine du Nord (qui expriment beaucoup de gènes néandertaloïdes, peu de gènes dénisoviens, et des gènes Erectus en proportion infime) ? Retour
(109) Les praxies sont une expression motrice de la cognition au sens large. Elles sont à l’origine de l’habileté manuelle. Elles impliquent notamment le cervelet qui apparait de plus en plus comme un organe cognitif. Or, le cervelet des néandertaliens était plus petit que celui des Hommes Modernes.Retour
(110) Voir dans les cartes de l’atlas cette notion de Dénisovien méridional, qui découle du fait que c’est en Asie du Sud Est – et non dans l’Altaï, au voisinage de la grotte de Denisova – que l’on trouve les plus hautes fréquences de gènes dénisoviens chez nos contemporains. Retour
(111) On notera que l’âge que nous proposons est plus ancien que les 200.000 ans habituellement avancés pour dater l’origine de l’Humanité moderne. Cela découle à la fois de l’âge estimé de l’haplogroupe ADN-Y A00 et de révisions chronologiques des sites africains Sangoens et des sites syriens Hummaliens [cf. atlas]. Retour
(112) Une mutation de FOXP2 sépare bien les Hommes modernes des Néandertaliens et d’ailleurs de tous les autres animaux. Lorsque le gène Humain moderne est introduit dans le génome de souris, celles-ci diversifient leurs cris et acquièrent de meilleures capacités cognitives. FOXP2 n’explique certainement pas tout, mais il s’agit d’une piste intéressante. Retour
(113) En Afrique du Sud, le Levalloisien avait toutefois rapidement pris un aspect particulier que l’on appelle Fauresmithien. Ce faciès méridional était en place v. 500.000 AEC. Retour
(114) S’il ne s’agit pas d’outils plus récents qui se sont enfoncés dans le sol ; un des grands problèmes de l’archéologie africaine pour ces périodes reculées [cf. la suite du texte]. Retour
(115) Et cela d’autant plus que les difficultés de l’archéologie africaine fragilisent la reconstitution de cette transition. Il faut mentionner ces difficultés bien identifiées : peu de sites sont intégralement fouillés, peu de sites ont fait l’objet d’une datation, et encore moins de sites sont correctement datés étant donné leur ancienneté qui rend inopérante la méthode du C14 ; il faut également ajouter que la stratigraphie est souvent impossible à établir en Afrique, notamment dans les régions autrefois forestières, parce que les couches de terrain ont souvent été mise sans-dessus-dessous par l’action ininterrompue des racines des arbres et des animaux fouisseurs, qui – comme des couverts à salade – ont vigoureusement brassé les sols pendant des dizaines de milliers d’années. Enfin, il est très important de mettre en lumière une autre difficulté de datation inhérente à l’archéologie africaine : sur ce continent, les changements technologiques se sont produits sans heurts, toujours sous la forme de transitions souples, rendant illusoire l’établissement de séparations bien nettes entre deux phases culturelles. Retour
(116) Puisque les Hommes modernes n’étaient pas les représentants d’une espèce ‘’étanche’’, les métissages avec des individus ‘’pauci-cognitifs’’ commencèrent immédiatement. Cela signifie que – dès le stade de la mutation initiale passé – il n’a jamais existé d’Humains modernes de ‘’pur-sang’’ mais uniquement des hybrides de plus en plus hybridés au fur et à mesure des générations. Dans une telle situation, sont réputés par nous ‘’Hommes modernes’’ ceux des hybrides qui exprimaient des compétences ‘’normo-cognitives’’, quelle qu’ait pu être la proportion (nécessairement majoritaire) de gènes archaïques qu’ils exprimaient. Si les Humains modernes antérieurs au grand ‘’OUT’’ qui donna naissance à l’Humanité Eurasiatique, peuvent nous apparaitre comme ayant appartenu à un groupe génétiquement homogène, c’est uniquement parce que les premiers porteurs de la mutation ‘’moderne’’ étaient génétiquement très proches de leurs cousins archaïques Rhodesiensis, dont ils n’étaient, au vrai, qu’un rameau.Retour






