ET LE MONDE FUT PEUPLÉ ! – Histoire de la Préhistoire
2ère partie – Paléolithiques inférieur et moyen
INTRODUCTION
Lorsque l'homme apparut sur le sein de la Terre, il était rude encor ; dur comme sa mère 1.
De plus solides os soutenaient son grand corps, et des muscles puissants en tendaient les ressorts.
Peu de chocs entamaient sa vigoureuse écorce ; le chaud, le froid, la faim, rien n'abattait sa force.
Des milliers de printemps ont vu nus sous le ciel, à la façon des bêtes errer la gent mortelle.
[…]
Les bienfaits du soleil et des cieux, les largesses du sol, étaient pour nos aïeux les uniques richesses.
Satisfaits de leur sort, sous le couvert des bois,
Ils allaient fourrageant, se nourrissant de noix.
[…]
Les usages du feu leur étaient inconnus ; ne sachant même pas faire à leurs membres nus un grossier vêtement des dépouilles des bêtes.
Aux cavités des monts se cherchant des retraites, tapis sous les forêts, de broussailles couverts, ils évitaient la pluie et l'injure des airs.
Et les pierres de loin, les lourds bâtons de près abattaient sous leurs coups les bêtes des forêts.
Vainqueurs souvent, parfois fuyant devant leurs proies, pareils aux sangliers vêtus de rudes soies, où les prenait la nuit, ils livraient au repos leurs corps enveloppés d'herbes et de rameaux.
Et, dans la morne paix d'un sommeil taciturne, sans troubler de leurs cris l'obscurité nocturne, sans chercher le soleil perdu, silencieux, nus sur la terre nue, attendaient que les cieux au rayonnant flambeau rouvrissent la carrière.
Sûrs de voir avec l'ombre alterner la lumière, ils ne s'étonnaient pas de la fuite du jour ; et, dès l'enfance instruits de son constant retour, ils ne redoutaient pas qu'une nuit éternelle dérobât pour jamais la lampe universelle.
Bien plutôt craignaient-ils les funestes réveils dont l'embûche des nuits menaçait leurs sommeils.
L’assaut d’un sanglier ou d’un lion l’approche, souvent les délogeaient de leurs abris de roche ;
et, dans l'ombre, effarés, ils fuyaient, délaissant leurs couches de feuillage à ces hôtes de sang.
[…]
Certes, plus d'un, surpris et, lambeau par lambeau, tout vif enseveli dans un vivant tombeau, pantelante pâture offerte aux représailles, voyait la dent vorace entamer ses entrailles ; et enflait les forêts de cris désespérés.
Ceux que sauvait la fuite, à moitié dévorés, de leurs tremblantes mains couvraient leurs noirs ulcères
et suppliaient la mort de finir leurs misères,sans espoir de secours, voyant leur vie partir, ignorants qu’ils étaient de l’art de guérir.
Lucrèce – La Nature des choses – livre V
Pour armes la Nature à nos premiers ancêtres fit des dents, mains, et ongles ; et nous donna pour traits
les cailloux, les rameaux arrachés aux forêts.
Lucrèce – La Nature des choses – livre V
Si l’on se réfère à la classification en vigueur, établie par les chercheurs de la seconde partie du XX° siècle, le genre Humain (Homo sp.) est apparu en Afrique de l’Est il y a environ 3 à 2,6 millions d’années (MA), avec des formes appelées Homo habilis et Homo rudolfensis2 [cf. carte A] Ainsi, les débuts de l’Humanité semblent coïncider avec le début du Quaternaire, dernière période de l’ère Cénozoïque également appelée ère Tertiaire. Cependant, nous avons vu que ces êtres conservaient encore de nombreux traits crâniens et postcrâniens qui n’étaient pas parfaitement humains ; au point que certains chercheurs les classent dans un stade HABILINÈS précédant le stade HOMINÈS des Humains ‘’véritables’’ [cf. atlas n° 1].
Cette question de taxonomie sera reprise dans les commentaires de la carte A. mais quelle que soit la position adoptée à l’égard de l’humanité ou non d’Habilis, l’espère Humaine apparait comme très jeune à l’échelle des temps géologiques. Cela ne doit pas nous étonner car la plupart des espèces sont nécessairement jeunes dans un Monde en perpétuelle évolution, où la seule véritable constante est l’adaptation et donc le changement. Adaptation à quoi ? Principalement aux fluctuations du climat et à l’intensité de la compétition que les individus entretiennent avec les membres des autres espèces et avec les membres de leur propre espèce ! Aujourd’hui installée sur toute la planète et devenue prospère au point de déstabiliser la biosphère en compromettant jusqu’à sa propre survie, il convient de rappeler que l’espèce humaine n’a pas toujours été aussi efficace pour s’approprier les moindres parcelles de terres et pour accaparer jusqu’à leurs plus infimes ressources au détriment de la plupart des autres espèces vivantes. En effet, il y a plus de 100.000 générations3, elle n’était encore qu’une simple espèce animale parmi d’autres, très dépendante de son environnement ; ses facultés d’expansion étant alors étroitement contrôlées par le climat, par la densité de ses prédateurs et par la quantité des ressources alimentaires naturellement disponibles.
Malgré des interrogations persistantes quant aux mécanismes qui président aux variations climatiques à long terme, le climat froid, instable et fortement saisonnier qui caractérise notre époque QUATERNAIRE, constitua l’aboutissement d’un processus de refroidissement progressif commencé il y a environ 50 millions d’années (MA) et dont l’atlas n° 1 a jalonné les principales articulations ! On se contentera ici de quelques précisions : ainsi, il y 34 MA, la ‘‘grande coupure’‘ (extinction de masse survenue à la fin de l'Éocène) coïncida avec l’établissement d’une calotte glaciaire permanente sur l’Est de l’Antarctique, tandis que l’Ouest de ce continent demeurait encore couvert de forêts ; puis, il y a 23 MA, au début du Miocène, la séparation définitive de l’Amérique du Sud et de l’Antarctique mit en place le courant circumpolaire et accentua le refroidissement du pôle Sud. Malgré cette progression régulière vers le froid, le milieu du Miocène fut curieusement caractérisé par un épisode de réchauffement qui s’étendit au sens large entre 17 et 12 MA avant nous (optimum Miocène), période que nos ancêtres HOMINIDÉS mirent à profit pour coloniser tout le Sud de l’Eurasie. Puis un refroidissement marqué se fit de nouveau sentir v. 11,5 MA ; cet épisode s’accompagna d’une reprise de croissance de la calotte glaciaire antarctique qui finit par recouvrir l’ensemble du continent il y a 10 MA, tuant la plupart des formes de vie qui étaient parvenues à s’adapter jusque-là. [cf. atlas n° 1 pour tous ces évènements climatiques]. Globalement, les régions de l’hémisphère Nord se refroidirent plus tardivement que les terres australes. Parallèlement, la modification du régime des précipitations transforma le Sahara en désert il y a 7 MA. Ensuite, la crise messinienne assécha partiellement la mer Méditerranée v. 6 MA. Enfin, il y a 3 millions d’années, une importante surrection du rift africain accentua l’aridification de l’Est de l’Afrique ; dans le même temps, la surrection de l’isthme de Panama rattacha les deux Amériques, évènement géologique qui modifia la circulation des courants océaniques et contribua à l’établissement d’une calotte de glace pérenne sur le Groenland il y a 2,7 à 2,6 MA.
C’est ce dernier évènement qui marque le début de l’époque Quaternaire dans laquelle nous vivons toujours aujourd’hui et dont nous soulignons ci-après les principales caractéristiques : climat globalement froid ; fluctuations climatiques de grande amplitude ; et forte saisonnalité ! Pour retracer le climat quaternaire dans son intégralité, on étudie la proportion des isotopes 16 et 18 de l’oxygène contenus dans les couches successives des sédiments marins à partir desquels on définit une alternance de périodes froides et de périodes chaudes dites ‘’Marine Isotopic Stages’’, ou MIS (encore appelés ‘’Oxygene Isotopic Stages’’, ou OIS) ; Les MIS pairs correspondent à des oscillations climatiques froides, pouvant atteindre une intensité glaciaire, mais pas systématiquement ; Inversement, les MIS impairs correspondent à des oscillations climatiques globalement tempérées pouvant aller d’un climat plus frais à un climat plus chaud que celui du MIS 1, dénomination de notre interglaciaire actuel (Holocène). Malheureusement, plus on remonte loin dans le temps, moins il est facile de rattacher une couche sédimentaire précise à un épisode glaciaire étroitement circonscrit, et encore moins de déterminer l’étendue de cette glaciation à l’échelle mondiale. En effet, chaque épisode glaciaire efface en partie les traces de ceux qui l’ont précédé, surtout lorsque l’extension de sa calotte glaciaire continentale dépasse celle des calottes glaciaires plus anciennes. Or, les oscillations climatiques du début du QUATERNAIRE semblent avoir été globalement moins intenses et plus chaotiques que celles que nous subissons depuis l’établissement du ‘’cycle de 100.000 ans’’, il y a environ 900.000 ans ; ce qui rend les glaciations anciennes plus difficiles à repérer.
Au cours du Pléistocène (première période du Quaternaire), de nombreuses oscillations glaciaires et tempérées se sont donc succédées, confrontant à chaque fois les espèces vivantes à des migrations et/ou à des adaptations physiologiques, dans des directions qui étaient alternativement opposées4.
Généralement, l’installation des conditions glaciaires se fait assez rapidement et modifie l’ensemble du climat terrestre. Certes, aucun des épisodes glaciaires du Quaternaire ne fut suffisamment intense pour que l’Afrique pâtisse d’un climat froid. Mais, dans les régions tropicales et équatoriales, les épisodes glaciaires se traduisent habituellement par une forte diminution des précipitations (une sècheresse) qui provoque l’extension des déserts au détriment des savanes, et, dans une certaine mesure, l’extension des savanes au détriment des forêts pluviales ! Lorsqu’ils subissent de telles pressions écologiques, les animaux se replient dans des ‘’écozones refuges’’ où ils parviennent parfois à survivre jusqu’au retour des conditions climatiques favorables à leur espèce ; mais ceci au prix d’une importante diminution de leur population, en proportion de la raréfaction des régions auxquelles ils sont adaptés. Ces grands bouleversements écologiques – fatals à de nombreux individus – constituent les conditions idéales pour la survenue de spéciations, c’est-à-dire pour l’apparition de nouvelles espèces ! En effet, la fragmentation des ‘’écozones refuges’’, interrompt temporairement les flux géniques (échanges de gènes à longue distance entre les populations d’une même espèce), et accentue les conséquences de la dérive génétique (diffusion de nouvelles caractéristiques découlant de mutations apparues au hasard) parce que les populations sont de petite taille et qu’une mutation se repend plus facilement dans toute une population lorsque cette condition démographique est réalisée. De telles situations constituent ce que l’on appelle des ‘’goulots d’étranglement’’. Si la fragmentation des écosystèmes perdure pendant quelques milliers de générations ‘’seulement’’, les populations isolées ont seulement le temps d’accumuler des caractéristiques raciales plus ou moins prononcées, c’est-à-dire des divergences phénotypiques limitées qui ne constitueront pas un obstacle à l’interfécondité lorsque le contact sera rétabli avec les autres descendants de la population ancestrale qui auront survécu dans d’autres zones refuges. Mais si l’isolement des populations est plus long (quelque dizaines de milliers de générations), l’accumulation des différences génétiques peut devenir suffisante pour créer un obstacle biologique à l’interfécondité : c’est le phénomène de la spéciation (formation de nouvelles espèces), lequel résulte donc à la fois de l’isolement des populations, de la réduction de leur densité, de la durée de leur isolement et de l’intensité de la pression environnementale. Bien sûr, il existe aussi des situations intermédiaires, dans lesquelles l’hybridation reste parfois possible mais avec une fécondité perturbée ; réalisant ce que l’on appelle généralement des ‘’sous espèces’’.
Lors de chaque cycle climatique, tandis que l’établissement des conditions glaciaires est rapide aux latitudes moyennes, le rétablissement des conditions interglaciaires est quant à lui beaucoup plus progressif et entrecoupé par plusieurs oscillations de brefs retours vers un climat froid. Dans les régions tropicales, la période de transition entre la fin d’un épisode glaciaire et l’établissement d’un épisode interglaciaire pleinement constitué, correspond souvent à une belle période pluviale : alors, pendant quelques milliers d’années seulement, les zones arides deviennent temporairement beaucoup plus humides. A la fin de la dernière glaciation, ce phénomène a été particulièrement net en Afrique qui a jouit d’un magnifique épisode de ‘’Sahara vert’’, avant que s’établisse de nouveau le climat aride que nous connaissons aujourd’hui et qui avait déjà existé plusieurs fois au cours des cycles précédents. En effet, il s’agit bien de cycles et des épisodes de ‘’Saharas verts’’ ont donc existé à plusieurs reprises au cours du Pléistocène, entrecoupant les épisodes de ‘’Saharas hyperdésertiques’’ des phases glaciaires (très étendus et très arides) et les épisodes de ‘’Saharas désertiques’’ des phases interglaciaires comme la nôtre (moins étendus et un peu moins arides). A chaque épisode, les ‘’Saharas verts’’ ont constitué une immense savane arbustive riche de toute la mégafaune africaine dont faisaient partie nos ancêtres ; cette étendue sans fin était parsemée de petits et de grands lacs, dont certains pouvaient atteindre des tailles gigantesques comme le Méga-Tchad ou le Méga-Fezzan ; dans le même temps, les massifs montagneux sahariens (Adrar, Hoggar, Tibesti, Ennedi) recevaient des pluies suffisamment abondantes pour entretenir des rivières plus ou moins pérennes qui descendaient de leurs flancs et constituaient autant de boulevards empruntés par les faunes ; n’étant plus bloqués par la barrière du désert, animaux et Humains pouvaient atteindre la côte d’Afrique du Nord sans difficulté.
Chacune des cartes de l’atlas n°2 décrit la géographie d’une époque précisément datée. Etant impropres à la vie pour les Humains archaïques et pour leurs ancêtres, les déserts glacés, les déserts arides et les forêts fermées (pluviales en vert foncé et non-pluviales circonscrites par des pointillés verts) sont représentés, avec l’extension que nous leur reconstituons pour chaque époque. Sur chaque carte, les sites archéologiques sont localisés avec exactitude ; pour chacun de ces sites, des précisions dans la marge donnent son nom, son âge estimé (en Millions d’Années) et la technologie lithique qui lui est associée ; lorsque des fossiles sont connus, leur affiliation anthropologique est précisée. Les dates sont données en années Avant l’Ere Commune (AEC)5 .
Rappel phylogénétique de la lignée humaine [cf. atlas n°1].
- Hominidés
- Ponginés = Pongo et Gigantopithecus
- Homininés / Dryopithécinés
- Gorillini = Gorilla
- Hominini
- Hominini Panines (sylvestres) = Pan
- Hominini Hominines (savanicoles)
- Sahelanthropinès
- Australopithécinès
- Paranthropus
- Habilinès = Habilis
- Hominès = Homo
Notes :
(1) : Pour Lucrèce, la Terre est notre mère à tous. Retour
(2) : Nous verrons plus loin que les auteurs ne suivent pas cette position. Ils classent les Habilis dans un stade Habilinès et réservent le qualificatif
d’Humain à Homo ergaster et à ses descendants [cf. carte A et atlas n°1]. Retour
(3) : Nous adoptons des générations de 25 ans. Ce rythme est celui de tous les grands singes, à l’exception possible des Gorilles dont les générations
pourraient être de 20 ans seulement [cf. atlas n°1]. Jusqu’à l’apparition de l’Homme Moderne [cf. carte W] on négligera les 2000 années de notre ère
commune pour calculer le décompte des générations. Ensuite, nous les ajouterons pour obtenir un calcul plus juste. Retour
(4) : Une description détaillée de la structure des épisodes glaciaires et tempérés peut être consultée dans l’introduction de l’atlas n°3. Retour
(5) : Ou Before Common Era (BEC) en anglais. Les années de notre ère sont dites de l’Ere Commune (EC) ou Common Era (CE) en anglais. Retour