T - 16.000.000 à 15.000.000 AEC
MIOCENE Moyen – Langhien inférieur
HOMINIDAE / GRIPHOPITHECIDAE v. 16 MA Europe
GRIPHOPITHECUS : v. 16 à 14 MA, Europe (Allemagne, Autriche, Slovaquie, Autriche, Anatolie).
Griphopithecus et ses descendants présentent plusieurs caractères dérivés qui les distinguent à la fois de leurs ancêtres Proconsuloïdes78 et de leurs contemporains Kenyapithécidés. Parmi les traits crâniens distinctifs, les plus évidents sont la robustesse des mâchoires et la grande épaisseur de l’émail dentaire, ce qui signifie que les Griphopithécidés étaient obligés de mastiquer une nourriture plus coriace que celle de leurs ancêtres africains79. L’épaisseur de l’émail de Griphopithecus a conduit à réviser une conception ancienne sur l’émail dentaire humain dont l’épaisseur était considérée comme une adaptation récente, parce que les trois autres grands singes africains – qu’on imaginait naïvement primitifs en tous points – ont un émail dentaire mince ; aujourd’hui, l’accumulation de données fossiles indique clairement que les dents recouvertes d’un émail épais constituent la condition primitive des Hominidés (eurasiatiques), et que ce sont les Gorilles, les Chimpanzés et les Bonobos qui constituent des formes dérivées, tandis que les Humains sont demeurés primitifs sur ce point !
Les ossements postcrâniens connus sont très fragmentaires, mais suffisent pour constater que Griphopithecus conservaient globalement l’anatomie basale des Euhominoïdes qui l’avaient précédé, et qu’il était sur ce point comparable aux Kenyapithécidés africains dont il n’était au fond qu’une espèce exilée. Sur son nouveau continent, Griphopithecus vivait dans une forêt para-tropicale proche de celles que son ancêtre migrant avait laissées en Afrique. C’était essentiellement un quadrupède arboricole frugivore et folivore, mais qui pouvait aussi passer une partie de ses journées à se déplacer de manière quadrupède sur le sol de la forêt. Comme un Chimpanzé actuel – auquel il ressemblait superficiellement – il pesait une cinquantaine de kilos. Sa pronation / prosupination était de bonne qualité ; il était déjà bien adapté au grimper et à la suspension, mais était un brachiateur moins agile que ne le seront ses descendants.
Un autre trait fondamental de Griphopithecus est le développement des prémices de notre bipédie, que certains chercheurs considèrent comme une résultante de l’accroissement des facultés de brachiation. Les Humains ne sont pas les seuls bipèdes de la famille. Les autres Hominidés actuels ne se contentent pas de se suspendre aux branches avec leurs longs bras, mais peuvent aussi passer une grande partie de leur temps en position debout sur les branches, où ils marchent en se servant des bras à la manière de balanciers80. Ce comportement de bipédie arboricole étant attesté aussi bien chez les Hominidés Ponginés (Orang-Outang) que chez les Hominidés Homininés (Chimpanzés), il est rationnel d’avancer qu’il s’agit d’un comportement ancestral qui fut expérimenté par Griphopithecus81.
Griphopithecus – 16/14 MA – Hominidae basal – Europe
Malgré toutes ces observations anatomiques et fonctionnelles convergentes, certains chercheurs répugnent encore à accepter que le dernier ancêtre commun aux grands singes actuels ait pu vivre en Europe et non pas en Afrique. Pourtant, les Kenyapithécidés africains du Miocène ne présentent pas les innovations morphologiques communes aux grands singes eurasiatiques de la même époque et aux grands singes actuels d’Afrique et d’Asie. C’est pourquoi, il est plus logique de penser que, TOUS les grands singes actuels (Orang-Outan, Gorille, Humain, Chimpanzé, Bonobo) descendent d’une lignée de grands singes qui vécut en Eurasie pendant plusieurs millions d’années et dont un membre finira, plus tard, par rétromigrer en Afrique82 ! [cf. carte W].
Au total, Griphopithecus est un excellent candidat au titre d’OHLCA (Orangutan Homo Last Common Ancestor), c’est-à-dire au titre d’ancêtre commun à TOUS les Hominidés actuels. Ceci autorise à penser qu’il fut également l’initiateur de la ‘’conscience de soi’’, un autre trait qui semble partagé par tous les Grands singes d’aujourd’hui.
Notes
(78) : Incluant notamment des molaires larges à cuspides basses, un émail épais et des modifications des incisives supérieures.Retour
(79) : Les forêts eurasiatiques du miocène moyen subissaient un climat saisonnier plus contrasté que celui des forêts africaines.Retour
(80) : Au moins l’Orang-Outan et les Chimpanzés.Retour
(81) : L’hypothèse de la ‘’bipédie originelle’’ est bien plus logique que l’hypothèse alternative d’une bipédie apparue tardivement chez des quadrupèdes terrestres ; laquelle aurait nécessité une série de zigzags invraisemblables : 1) plan corporel originellement pronograde (quadrupédie arboricole et terrestre sur la paume des mains) chez les Hominoïdes africains du Miocène Inférieur ; 2) plan corporel orthograde (brachiation et bipédie arboricole) chez les Hominoïdes eurasiatiques du Miocène Moyen ; 3) retour à un plan pronograde (quadrupédie terrestre par knuckle-walking) chez les Homininés européens et africains du Miocène Supérieur ; 4) puis nouveau retour au plan orthograde (bipédie terrestre) chez les Pré-Humains savanicoles du Pliocène ! Autrement dit, les ancêtres des Humains auraient successivement vécu à 4 pattes, puis se seraient redressés avant de se remettre à 4 pattes et de se redresser de nouveau ! Ce qui n’est pas logique ! En alternative, si l’on veut bien accepter que les Humains puissent être plus ‘’primitifs’’ que les Gorilles et les Chimpanzés, en ce qui concerne l’expression de certains traits, la bipédie arboricole ‘’originelle’’ est une hypothèse beaucoup plus parcimonieuse. Acceptons par conséquent que la bipédie soit un trait ‘’primitif’’ chez les grands singes d’Afrique, et que ce sont les Gorilles et les Chimpanzés qui – après le retour en Afrique – ont été innovants sur ce point. A noter cependant bqu’ils n’ont pas été totalement innovants, car tous les Hominidés non-Humains demeurent encore partiellement bipèdes ; particulièrement dans leur jeune âge (les traits infantiles sont souvents des vestiges ancestraux).Retour
(82) : On verra plus loin, que pour des raisons géographiques, il est probable que cet ancêtre vivait dans ce qui est aujourd’hui l’Anatolie ; ce qui fait d’Ankarapithecus un candidat potentiel.Retour
