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N - 960.000 à 940.000 AEC

Interglaciaire LEERDAMIEN

MIS 25

 

 

Climat

Pour la première fois dans cet atlas, la carte N représente un MIS unique : le MIS 25 ou LEERDAMIEN, qui fut un interglaciaire plus chaud et plus humide que celui dans lequel s’est épanoui la civilisation actuelle (MIS 1). En Afrique, cette période de 20.000 ans fut globalement pluviale, ce qui remplit les lacs sahariens et facilita la diffusion des populations subsahariennes vers le Nord au travers d’un ‘’Sahara vert’’.

 

 

Afrique

La disparition du désert permit probablement aux Heidelbergensis (anciens) / ‘’Erectus africains’’ de peupler tout le continent. Cette hypothèse n’est toutefois pas véritablement étayée pour cette époque qui est quasiment dépourvue de sites.

 

Eurasie

Malgré leur indigence, les données disponibles nous permettent de dessiner une situation anthropologique voisine de celles qui prévalaient déjà au cours des deux complexes interglaciaires précédents [cf. cartes J & L]. On peut toutefois supposer que le climat chaud et humide – c’est-à-dire très favorables aux Humains – permit aux populations eurasiennes de s’avancer plus loin vers le Nord que leurs ancêtres ne l’avaient jamais fait. Cela n’est pas documenté mais de telles avancées septentrionales seront constatées lors de chacun des interglaciaires chauds ultérieurs.

 

L’Europe et l’Asie du Sud-Est du Leerdamien étaient toujours peuplées par des Homo erectus / antecessor technologiquement très conservateurs puisque leur industrie oldowayenne / ‘‘mode 1’‘, existait sous une forme inchangée depuis déjà plus de 1.500.000 ans ! Dans le même temps, toute l’Afrique, le Proche-Orient, le Moyen-Orient et l’Inde pourraient avoir été le domaine des Homo heidelbergensis (anciens) / ‘’Erectus africains’’ qu’on se plait à voir comme plus novateurs que leurs cousins, mais dont l’innovation technologique acheuléenne / ‘‘mode 2’’ datait déjà de 800.000 ans à l’époque où nous sommes parvenus ! Pour compléter le raisonnement qui suit, il faut ajouter que ces deux technologies très archaïques et déjà très anciennes allaient perdurer encore pendant très longtemps – au travers de plusieurs nouveaux épisodes glaciaires et interglaciaires – avant d’être remplacées très tardivement seulement par d’autres technologies plus modernes, qui seront plus efficaces qu’elles …

Or, aucune véritable culture ne dure aussi longtemps ! Et c’est pourquoi il faut absolument proscrire les termes de **cultures oldowayenne et acheuléenne pour les remplacer par les termes mieux appropriés de technologies ou d’industries oldowayenne et acheuléenne !

Lorsqu’on fait ce constat de très longue stagnation technologique et qu’on le compare avec l’emballement de l’évolution culturelle observé aux temps de l’Homme moderne (surtout depuis 50.000 ans), on est conduit à se poser une question : pourquoi ce différentiel dans la capacité à innover ? La seule réponse plausible est celle d’un ‘‘plafond de verre cognitif’’ qui empêchait les Humains anciens de généraliser leurs connaissances pour explorer de nouveaux domaines intellectuels et pour créer de la nouveauté ! Bien que nécessairement intelligents et capables de traditions culturelles limitées – puisque les Chimpanzés sont tout cela dans une certaine mesure – on peut se demander si leur registre comportemental ne découlait pas essentiellement d’une série de compétences stéréotypées qui étaient génétiquement programmées et dont ils ne pouvaient que très peu s’écarter ! Ravalant notre orgueil, osons comparer les compétences technologiques de nos ancêtres du Paléolithique inférieur à celles des Castors, par exemple, qui sont capables de tronçonner d’énormes arbres pour en faire d’incroyables huttes et d’imposants barrages à l’origine de lacs artificiels où leur espèce et bien d’autres prospèrent ; mais qui sont incapables d’innover pour construire des palissades, des planchers, des cloisons ou des tours de guet ! Osons les comparer encore aux compétences technologiques de telle ou telle espèce d’oiseaux, capables de faire des nids de telle ou telle forme, parfois merveilleusement élaborés, mais toujours identiques chez les individus d’une même espèce lorsque ceux-ci disposent des mêmes matières premières à leur portée. Peut-être nos ancêtres fonctionnaient-ils eux aussi de la sorte ? Ainsi, à l’instar d’un barrage de rondins entremêlés ou d’un magnifique nid suspendu, les Homo erectus / antecessor auraient seulement été capables de casser grossièrement des cailloux pour fabriquer de simples tranchants (‘’mode 1’’) ; tandis que les Homo heidelbergensis se seraient contentés d’ajouter à cette compétence de base, celle de façonner de beaux bifaces bien symétriques (‘’mode 2’’) et d’entretenir des feux ? L’absence d’un langage articulé pourrait-il compléter la tentative d’explication de ce marécage culturel ? Sans langage articulé, il est certainement bien plus difficile de transmettre son expérience à sa descendance, mais il est aussi plus difficile d’élaborer de nouveaux concepts et donc d’innover ? Or, la capacité à manier des abstractions et la pensée symbolique54 sont probablement les conditions sine qua non pour pouvoir élaborer un langage et pour pouvoir vraiment innover ; et nos ancêtres du Paléolithique inférieur n’étaient tout simplement pas capables de cela55 !

A l’encontre de cette hypothèse du ‘’plafond de verre’’, il a cependant été suggéré que la stagnation technologique oldowayenne des Erectus de Chine et d’Asie du Sud-Est pourrait n’avoir été qu’apparente parce qu’ils auraient fabriqué en bambou des outils que les autres peuples auraient été obligés de façonner en pierre ? Certes, les putatifs outils en bambou ne s’étant pas conservés, il est impossible de vérifier cette hypothèse optimiste. Mais, cela n’a aucune importance ! Car, bambou ou pas, la question essentielle demeure : si les premiers Humains eurasiens avaient vraiment été capables d’innovations inventives, pourquoi n’ont-ils pas créés des civilisations plus développées que l’Oldowayen et que l’Acheuléen au cours de l’un ou de l’autre des nombreux magnifiques interglaciaires qui ont précédé le nôtre et qui n’étaient pas moins favorables que le nôtre pour ce faire ? Ce débat fondamental sera prolongé en détail dans l’introduction de l’atlas n°3.

 

En Europe et en Asie orientale, le MIS 25 laissa donc inchangées les populations Erectus / Antécessors et leur vieille technologie de ‘‘mode 1’’. Si – en dépit leur propre stagnation – les Heidelbergensis étaient technologiquement un peu plus avancés et donc un peu plus efficaces que les Erectus / Antécessors, pourquoi alors ne les ont-ils pas remplacés en Europe et en Extrême-Orient ? Ou, au minimum, pourquoi leurs bifaces n’ont-ils pas diffusés dans ces régions ? En Turquie, le niveau le plus ancien de Kaletepe-Deresi-3, situé dans le Taurus en périphérie orientale de la Cappadoce et daté avec incertitude entre v. 1.100.000 et 800.000 AEC, a livré un biface qui pourrait amener à conclure que des porteurs du ‘‘mode 2’‘ ont peuplé l’Anatolie très tôt ; toutefois, les couches plus récentes du site livrent des vestiges dits ‘’clactoniens’’ [cf. carte R] et aucun autre vestige rattachable à un Acheuléen consensuel n’a encore (2019) été découvert en Anatolie occidentale. C’est pourquoi certains chercheurs se demandent si l’Anatolie n’aurait pas constitué une barrière anthropologique qui aurait perdurée jusqu’au seuil de l’époque néandertalienne ? Si cela était avéré, il resterait encore à comprendre pour quelle raison ?

Au final, la longue persistance de deux industries de part et d’autre d’une frontière repérable, pourrait s’expliquer si les technologies eurasiennes de ‘‘mode 2’‘ n’avaient pas été significativement plus efficaces que celles de ‘‘mode 1’‘ ! Nous aborderons de nouveau cette question lorsque nous parlerons de la ligne de Movius [cf. cartes P & R]. Elle pourrait aussi s’expliquer en termes de métissage des Acheuléens eurasiens avec leurs prédécesseurs cognitivement plus limités, ce dont aurait résulté une longue stagnation des Acheuléens ‘’métissés’’ d’Eurasie ? [cf. introduction de l’atlas n°3 pour une explication détaillée].

 

Notes :

(54) Il ne s’agit pas d’entrer ici dans des débats psychologiques ou philosophiques. Par accès aux abstractions et pensée symbolique, on entendra simplement la capacité à spéculer au-delà des choses concrètes qui nous entourent. Le ‘’symbole’’ est originellement ce qui unit deux parties d’un objet brisé : un fragment de l’objet n’est pas l’objet, mais sa présence évoque l’entièreté de l’objet. La magie est typique de la pensée symbolique, avec sa volonté de produire de grands effets en réalisant des petites actions. Et l’art a quelque chose à voir avec la magie. Ce débat est détaillé dans l’introduction de l’atlas n°3.Retour

(55) De quand ce progrès cognitif peut-il dater ? Certains chercheurs pensent que v. 400.000 AEC les Homo heidelbergensis d’Atapuerca [cf. carte T] ont été intentionnellement jetés dans le trou où on les a découverts et qui aurait ainsi été une sépulture ; mais d’autres rejettent cette idée pour ne retenir l’existence d’incontestables sépultures que v. 100.000 ans. Du côté de l’art, certains chercheurs optent aussi pour des âges fantastiques avec des preuves bien faibles, tandis que la majorité objecte que les premières attestations de pigments préparés intentionnellement seraient plutôt à situer v. 100.000 AEC. Avec ces pigments et les sépultures, c’est donc à partir de v. 100.000 AEC seulement que nous avons des preuves culturelles. Ce débat est détaillé dans l’introduction de l’atlas n°3.Retour

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Ancre 54
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© 2019 Thierry d'Amato

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